Investir un lieu. Le fréquenter. Le laisser devenir presque familier. Faire des images sans projet a priori, donc "hors série". Que peut produire leur mise en ligne ? Voir si une forme se dessine peu à peu, un récit, de nouvelles images.
Ce matin, en écoutant Talmudiques, l’émission de Marc-Alain Ouaknin, je me suis trouvé mis en arrêt par un commentaire sur le fameux verset : « tu ne feras pas pour toi d'idole ou d'image ». Il souligne « pour toi » et invite par là à un regard singulier sur l’interdiction de produire des images.
Or, au commencement, c’est bien ce dont il s’agit ici. Faire des images pour moi même (je ne travaille pas pour le festival. Ni pour un journal. Ni dans le cadre d’un projet « artistique »). En écoutant l’émission, il me semble que je réalise encore plus clairement ce qui est en jeu. J’ai la conscience ténue de chercher ici à saisir quelque chose que je ne connais pas et dont je réapprends là, qu’elle se dérobera toujours au regard tendu vers elle. Et je pressens dès le départ le risque d'aliénation que représente ce circuit fermé: des images faites pour moi et que je serais le seul à voir.
Pourtant, dans ces images en particulier, qui me saisissent moi, au moment où je les découvre, et longtemps après, je crois voir la lumière de « quelque chose ». Donc une ouverture. Comme l’on distinguerait soudain une voie possible. Certes, la chose, en définitive, se dérobe. Mais il me semble au moins qu’elle s’annonce, qu’elle révèle sa présence. Là dans le visage, où, plus exactement, dans l’expression de l’autre, à l'instant saisi, par la lumière appelé. Ces images qui me font courir le risque de l'enfermement, m'indiquent aussi une direction possible.
Impossible à suivre par le même chemin.
Cet été, quand je suis retourné en festival, j’ai su immédiatement, précisément parce que j’avais mis le doigt sur « quelque chose », que « la chose » ne se donnerait plus à voir. Que les nouvelles images seraient ce que le tronc calciné et pétrifié, érigé en sculpture, est à l’arbre vivant, celui qui, dans la forêt, nous est soudain révélé par la lumière.
Alors, en les mettant en ligne, peut-être que ces images faites pour moi, cessent de l’être et me libèrent un peu. En n’étant plus tout à fait miennes, peut-être rendent elles possible la poursuite de ces méditatives déambulations au milieu de festivals de musique où je marche lentement comme en un cloître. Peut-être qu’en tournant autour du jardin comme on relit un texte, je saurais me laisser toucher à nouveau.
Fête foraine... C'est un mot latin qui renvoie à l'étranger, au dehors, à ce qui vient d'ailleurs... Il y a du voyage dans le forain... du voyage et de l'étrange...